C’est à ce moment là que je pensais en tenant ma barre, à cette minute immense où il me regardera de loin, dans la salle. J’y ai pensé pendant mes heures de repèt et même en dehors, en enfilant mon tutu, en traçant le noir autour de mes yeux, j’y ai pensé à Mcdo, quand je saluais les clients en foirant les repet…j’y pensais toujours. C’est en songeant à ses yeux sur moi quand je danserai sur scène que j’arrivais à danser vraiment.

- Tu ne tomberas pas ! N’importe quoi, j’ai confiance en toi, ça va aller ma puce.

Est-ce que j’avais le droit de foirer alors ?! Bournonville et Cie…Il savait les coups de pieds et les genoux tendus, le port de tête et le buste droit….

11h45.

J’ai peiné à sortir de mon lit ce matin. Mon téléphone sonne :

« Hey poulette, tu sais que la barre c’est à midi ? »

-         bah non, répondis-je béatement en forçant sur ma voix

-         ah ! tu viens hein ?

-         ah…bah….hum ouais…attend je me lève hein.

J’étais sorti de mcdo a minuit dix…fini le rush de quatre heures…les yeux explosés…mes jambes répondaient plus ! J’ai passé ma tète sous l’eau, mis des glaçons sur mes cernes pour décoller mes paupières et enfilé mes collants. Trois paires de collants.

J’ouvre la porte de la salle et m’engouffre dedans, ça valait bien le rush de mc do. Les sacs et les bombes de laque, la prof qui s’égosille « Mathiiiilde !!!! Chaussons, chignon, costume, à la baaaarre !!! » AaAaGgGRrRrrrrr….je meurs.

16h.

            Répet générale. Je sors de scène. Ça a été. C’est toujours mieux qu’au spectacle. Les techniciens remballent et nous souhaitent bonne chance. J’attrape mon portable qui traine sur une table en coulisse…j’ai deux messages. Il est toujours pas arrivé chez moi.

19h56

            J’avais des crampes au ventre, ce corset était trop serré. Aline s’approche de moi et renoue le lacet qui me faisait étouffer « ça va cocote ? » dit-elle avec une voix qui se voulait sereine. Elle avait du mal à respirer aussi. Julia était posée sur une chaise toute seule, immobile, toute petite, les plumes de son tutu blanc reflétaient la lumière des spots. Je me suis approchée d’elle…elle avait peur un peu.

Le rideau s’est ouvert. Est-ce qu’il y’avait du monde ?

Il était dans la salle, Presc et Mel aussi. Il devait y’avoir Cams et sa maman…et la mienne aussi peut être avec. Mon corset m’étouffait, ou juste ma crampe. Mon chausson était troué, j’avais du mettre du sparadrap, j’avais décuplé mes chance de glisser. J’avais recousu mes rubans deux fois. La fleur dans mes cheveux glissait.

Les spots se sont allumés soudain et la musique a retentit. J’aime cette sensation, être dans la musique quand elle nous attrape au vol, dans le noir et vibrer sur les notes. J’ai regardé en l’air pour respirer un peu. Il n’y a pas de plafond sur le plateau, juste des longs câbles et des grilles qui tiennent les rideaux…un coup de vertige. La lumière se perd. Et les applaudissements et la foule de petites danseuses bleues accourent. Lori me cherche, j’ai oublié l’ordre de passage. On fait le tour du plateau en courant, j’étouffe. Je tache ma chemise avec mon rouge à lèvre. Merde.

On s’aligne derrière la coulisse, l’accord final résonne et le silence tombe sur la scène qui s’assombrie doucement. On se regarde. On est quatre…on se sourit, on respire un coup et la musique redémarre. Une mesure…Aline entre, on la suit en ligne le nez levé les mains croisées posé sur la hanche. Tout est noir autour de nous…on ne voit que les petites dans la coulisse qui nous regardent…la salle est dans l’ombre. Je suis la dernière à faire mon solo…je les regarde du fond de la scène, immobile et droite le cœur battant. Il me regarde je sais, et mes jambes se mettent à trembler. Mon corset est trop serré.

Lori salut, accord de fin, elle sort et j’entre, je marche doucement a travers le silence….m’arrête. Un spot s’allume sur moi, m’éblouit.

Il m’a dit que c’était beau….que je sortais sur un roulement de tambour sous les applaudissements, qu’il avait aimé. Je n’y pensais pas aux tambours, j’avais trop peur de glisser.

21h40

            Je monte chercher mon sac en courant et cours sur le parking, Presc et Mel sortent de voiture et elle se jette dans mes bras, « trop belle ma chérie ! ». J’ai les larmes aux yeux…c’est le stress qui tombe et mon ventre se détend. Je regarde autour de moi le cherchant des yeux. Il arrive, avec sa mère et Cams, Esther et ma mère… je ne vois pas mon père…il a pas du venir.

Je les ai tous pris dans les bras, et il m’a embrassé en me serrant fort devant tout le monde…

« C’était super… »…et c’est lui qui disait ça.