J’écoute encore cette chanson triste, ces notes de piano qui me restent coincées en travers de la gorge comme si je n’arrivais pas à sortir son image noire et froide de ma tète, ses mains et ma haine de cette histoire.

Les rêves sont les bourreaux d’une vie. Une nouvelle chanson…juste une nouvelle chance.

Je trainais des pieds dans ce Mcdo puant, ma casquette me collait au front, j’avais chaud et mon pantalon me serrait trop. Je devais changer les poubelles, j’avais la nausée, et mes semelles de sécurité couinaient…j’en pouvais plus. Je pensais à Laeti…je vomissais son image par toute les pores de ma peau, elle et son aptitude a la nuisance inépuisable, l’incarnation de la souffrance personnifiée…et je n’arrivais pas à l’évacuer de mon esprit. J’avais encore deux heures à tirer ici…rien pour me changer les idées, des poubelles, des chiffons, des hamburgers…et merde.

Et putain à quoi ça rime tout ça.

C’est là qu’il a passé la porte. J’étais à l’autre bout de la pièce, mon corps a fait volte face pour reprendre ma respiration. Je ne ressens désormais plus rien de palpitant quand je le vois, plus que de la peur, de l’angoisse, un mal de ventre insupportable…j’aurai peut être souris avant, mon cœur se serait emballé d’une façon excitante, alors qu’à cet instant je ne pensais qu’à fuir, fuir mes mains tremblantes et mes sueurs froides. Il souriait. Nicolas.

Je marchais d’un pas vif et tête baissée vers la porte de la cuisine quand une voix m’a interpelé de derrière le comptoir. Ce connard de manager :

« Mathilde reprend ta caisse »…je croise son regard, il sait que je l’ai vu.

« Je vais me laver les mains »

J’ai traversé les vapeurs chaudes et grasses de la cuisine vers le lavabo désinfectant. Je me suis frottée les mains en songeant a l’heure du départ et j’ai regagné ma caisse. Il prenait sa commande à la caisse d’à coté. J’ai plongé mes yeux dans ceux du client qui déblatérait sa commande comme une mitrailleuse qui frappait mes neurones. Je lui demandais calmement de répéter.

« Un maxi-best-of-deluxe-frite-coca + un best-of-normal-bigmac-patatoes-icetea + unhappymeal-croque-frite-avec-vittelfraise-pompote-ce sra tout merci”….

Je tapotais sur l’écran en forçant au max ma concentration erronée pour ne pas avoir à appeler le manager pour annuler quoique ce soit devant lui…surtout que c’était le pire manager de l’équipe, le connard de base.

J’ai ravalé ma salive et j’ai commencé à rassembler la commande. Quand j’ai tout déposé sur le comptoir il avait disparu. J’ai balayé la salle d’un regard furtif, il s’était assis contre les vitres avec son pote et rigolait comme un dindon en croquant dans son bigmac. Il me dégoutait. C’est là que le manager a fait un come back

« Tient Mathilde, tu repasseras au loby, regarde les poubelles et ramène les plateaux ok ? »

Sans répondre j’ai poussé la porte battante et me suis réfugiée au Ronaldland, là où y’a jamais rien à faire mais où je peux tourner en rond en ayant l’air d’être occupée sans avoir à passer le balai sous sa gueule.

Il a fini par partir, et il me restait deux heures…

J’avais envie de voir Sacha. Pour me rappeler que c'était fini tout ça, juste pour un sourire, je n’oserai pas lui raconter. Et de parler à Laeti, juste pour me sentir mieux. Laeti n’existe plus…il y’a tout a reconstruire. Et il y’a trop de vies dans celle de Sacha pour y placer la mienne.