Je les ai vu danser…

J’ai pu les regarder ! C’est grâce à lui ça … il doit sûrement pas se rendre compte de ce que c’est pour moi.

Il a l’air de m’aimer, c’est bizarre… et quand je le regarde j’ai du mal à comprendre. Et parfois même je me sens belle sous ses yeux… si, une ou deux fois j’ai eu l’impression. C’était magnifique.

Je me suis posée dans un coin de la salle et j’ai regardé.

Et puis il était là toujours, il me regardait, je me sentais présente. Je ne participais en rien à tout ça mais je me sentais plus présente qu’à d’autres endroits.  Il venait me demander si ça allait et je sais, sûrement il ne devait pas imaginer comme j’étais heureuse. J’étais étonnée…j’aurai eu tendance à me sentir disparaître, mais il faisait bien plus attention à moi que je ne l’aurai espéré. Comme s’il déployait une énergie énorme à me rendre heureuse…

 Bientôt il a fait nuit dehors. J’ai imaginé l’habitude qu’il avait de voir tomber la nuit d’ici, de cette salle ou d’une autre de ce bâtiment. La salle donnait sur la cité de la musique. Et je ne sais pas pourquoi, la seule fois où je l’avais vu j’étais très petite et tellement impressionnée par Paris que l’image derrière la baie vitrée de cette salle, les lettres rouges, me donnaient l’impression singulière d’être dans un rêve, de vivre quelque chose de parallèle…de pas tout à fait réel. J’ai eu le sentiment d’être projetée dans une nouvelle vie, dans un de ces films que je m’invente des fois, et je le contemplais…j’essayais de prendre conscience de lui, de mon copain, de celui à qui je me donne, je le voyais comme un étranger, comme le prince d’un de mes rêves, et même en rêve depuis que j’ai passé les dix ans, je ne me serai pas permise de sortir avec un mec comme lui. Pour profiter d’un rêve il me faut l’inventer crédible, pour y croire une seconde et en profiter. C’est peut être pour ça que j’avais du mal à profiter de ces quelques heures, elles étaient à peine crédibles. Il me fallait sortir une seconde du brouillard dans lequel je me plonge quotidiennement pour oublier, et sentir soudain combien je pouvais être heureuse si je faisais l’effort d’ouvrir les yeux.

Le conservatoire n’a pas l’air si grand finalement. Je me suis habituée à Lille3 au bout de deux ans au moins, et je n’ai jamais pu faire le tour. Au bout de trois ans je connais les couloirs, je connais les salles. Mais elles n’émanent de rien. C’est juste grand, mais ici c’est beau, c’est beaucoup plus grand que Lille3. Mais j’ai cru un moment être chez moi, juste une impression bizarre de faire partie de lui et à travers ses yeux ne plus m’extasier devant l’étrangeté du lieu. J’ai réalisé la chance que j’avais…de le connaître, d’être avec lui, l’idiotie dont je faisais preuve de ne pas y penser plus souvent.

J’ai observé son corps pendant plus de trois heures. En sortant du conservatoire on s’est mis à marcher dans Paris. On a pris le métro et quand on est sortis de la station place de la Concorde j’étais éblouie, tellement heureuse que je rigolais pour rien, je m’extasiais devant tout ce que je voyais et lui n’avait pas l’air de comprendre. On est allé vers la grande roue. J’adorais. Je levais les yeux, je la contemplais, et finalement ça n’avait pas l’air si haut. On est monté dedans, on s’est élevé, et c’est comme si on avait été seuls au dessus de Paris. Finalement c’était haut. Je rigolais, il souriait. Il y’avait tout autour de nous la ville pleine de lumière et le vent froid qui faisait balancer la nacelle. Je serrais sa main, je l’agrippais peut être, et resserrais ses bras autour de moi. J’ai mangé la crèpe au chocolat à laquelle je pensais depuis une heure et nous sommes rentrés chez nous à Creil. On était que jeudi.

Vendredi il y’avait la fête du conservatoire. J’avais anticipé depuis une semaine. J’avais trouvé la robe qu’il fallait. J’avais retourné la situation dans ma tète des centaines de fois, la robe était nikel. Mais j’angoissais à l’idée de me pointer à cette fête. Il devait s’occuper du bar, qu’est ce que j’allais pouvoir faire moi au milieu de ces inconnus ? Je suis montée dans le train, maquillée, coiffée, habillée, je me sentais belle pour une fois. J’étais en train de l’imaginer quand il me verrait. Est-ce que ça me changeait ? Est-ce qu’il me trouverai belle, est ce qu’il verrait la différence ? Je m’observais avec acharnement dans la vitre du train en me demandant si j’avais toujours la même tète ou si effectivement le maquillage et la coiffure pouvaient faire des miracles.

Et lui il était magnifique ce soir là. J’ai du lui dire trois fois, je voulais qu’il puisse sentir comme je le trouvais beau. Quand je suis arrivée il avait une chemise, il était classe. Puis on lui a demandé d'enfiler un t-shirt pour tenir le bar avec marqué dessus "Sam le capitaine de soirée"avec le logo de la sécurité routière. J'me foutais bien de sa gueule mais j'adorais. Et puis il avait beau être occupé partout à la fois, il s’occupait de moi comme une petite chose perdue que j’étais. Il venait me voir, il me cherchait…

Comme il sentait que je me faisais chier il m'a proposé de tenir le bar avec lui un peu. Je servais des bières a tout le monde et je tapais la discut. Les gens finissaient par s'adresser à moi comme si c'était mon taff, alors Sacha m'a renvoyé d'où je venais avec un bisou gentil et je suis retournée à mon poste d'observation.

J’ai du boire trop de malibu, un peu de bière, pas trop pour ne pas qu’il le remarque…je suis allée dans une autre salle. Il y’avait des gens partout, des visages que je reconnaissais, et puis d’autres que je scrutais telles des dissections minutieuses avec copie et enregistrement, et comme si j’étais plongée dans une vidéo ralentie je marchais et captais chaque regard pour m’en nourrir, sans trop savoir qui j’étais ici, au milieu de ces gens. Accoudée à un balcon réfugiée derrière une colonne je regardais un groupe de musique, et les gens danser… je ne faisais que penser à lui. J’étais toute seule mais j’étais avec lui. Je vivais la même chose que lui.

Un mec est venu se poser à coté de moi. Je l’ai dévisagé comme s’il me paraissait invraisemblable qu’on me remarque tant je me sentais étrangère. De toute évidence ce n’était pas écrit sur mon front. Il s’est approché de mon oreille et m’a demandé si j’aimais danser. Sans trop m’attarder sur lui j’ai répondu que non, et après réflexion j’ai réalisé que je ne pensais qu’à ça depuis une heure. Je pensais à Sacha derrière son bar, je le voyais et l’aimais mentalement, je l’imaginais me prendre dans ses bras, et m’embrasser dans le cou, laisser glisser ses mains le long de ma robe… et cet inconnu bizarre planté à coté de moi m’extirpe de mon mirage…arf,  j’ai quand même senti que mon amabilité était mal gérée. Alors j’ai levé le nez pour lui sourire.  Je l’ai considéré une seconde, il avait l’air gentil en plus.

« Il chante bien ce mec »

Il avait l’air de kiffer…

Cool…

« C’est clair. »

Cool…

Il restait à coté de moi…

« Tu veux boire un truc ? »

Il considère mon gobelet vide. Je considère mon gobelet vide.

« bah ouai »

On descend, il me ramène un verre.

« Qu’est ce que tu fais ici ? »

« Mon copain est danseur, il tient le bar dans l’autre salle. »

« Ah ok ! »

Il regarde autour de lui, me sourit, regarde autour de lui…boit une gorgée…et alors qu’il regarde encore autour de lui je me barre. Comme ça, paf. j’me marre toute seule quand j’y pense, c’est abusé. Je suis allée observer l’autre salle, la salle transformée en boite. Mentalement je la visionnais vide et lumineuse, je voyais le parquet brillant, et là cette foule mouvante, ces flash de toutes les couleurs. C’était génial à voir…sauf que je voulais danser. Pffff

Alors je comatais en regardant, décomposant les gestes, comme si je regardais un film.

« Tu danses toujours pas ? »

Dit-il en s’arrêtant à nouveau à coté de moi.

« Bah non »

Sans blague.

Il me souriait béatement. Je lui souriais béatement…j’serais bien allée danser avec lui mais fortuitement, il s'averait que j’étais amoureuse ...et la seule personne avec qui j’attendais de danser c’était justement Mon danseur. Donc bon, c’était mal barré.

Je me suis replongée dans le spectacle monotone que j’avais sous les yeux, en contrebas : la piste. Et puis j’ai senti des bras passer autour de ma taille, j’ai sursauté. Merde, j’ai imaginé une seconde le mec me prendre dans ses bras ! Mais mon danseur a mis son menton dans mon cou et m’a embrassé. Il s’était libéré…mon ange, juste une seconde. Il a voulu aller dehors fumer sa clope, mais ma petite robe était trop légère pour un mois de décembre. Je suis retournée à mon poste d’observation. Il est venu m’embrasser avant de retourner au bar.

Un peu après, je suis allée chercher mes affaires derrière le bar en question. Il m’a filé les clefs de l’appart de sa pote et je suis sortie. Dehors il faisait froid et je ne me sentais plus trembler. J’avais oublié mon écharpe. Dehors il y’avait le mec. Le même toujours. Il m’a sourit comme pour me dire « tiens, encore toi. »

 Je me suis avancée vers lui, je sais plus pourquoi, j’étais fatiguée. C’était les fumeurs dehors, alors il m’a proposé une clope. Sauf que je ne fume pas.

Il s’est demandé ce que je faisais dehors à grelotter si je ne venais pas fumer.

« Je vais rentrer »

« A pied ? »

« Oui, c’est pas loin. »

Je savais même plus où c’était d’ailleurs, chez la pote de mon danseur…je n’avais jamais fait le trajet toute seule. Il me regardait grelotter le regard dans le vide…il devait plus oser parler maintenant qu’il y’avait du silence autour de nous.

« Tu fais quoi au conservatoire? » lui ai-je demandé.

« De la trompette. »

Ok.

Après quelques salutations en bonnes et dues formes et autres civilités de circonstances je me suis aventurée dans le froid hivernal du mois de décembre à deux heures du matin.

Je courais presque à l’idée de m’endormir au chaud. Je me suis enroulée dans une couette bien trouvée sur un clic clac…j’ai repensé à la première fois où j'étais venue dans cet appart, ça avait l’air si loin… et je ne m’habitue pas à lui… pourtant j’avais l’impression d’être chez moi ici. Peut être à cause des magazines qui traînaient, et d’Amélie Nothomb. Les vraies danseuses ne sont pas des extraterrestres inaccessibles, elles lisent des magazines comme moi, et des romans comme moi…

Je me suis endormie sur mon téléphone portable. La sonnerie spéciale que j’ai mise pour Sacha m’a réveillée une heure après. J’adore être réveillée par sa voix, dans un endroit que je ne connais pas, et l’entendre me dire d’une voix inquiète et adorable « j’arrive ma puce ».

Je n’ai pas eu conscience du temps qui s’est écoulé entre ce « j’arrive ma puce » et le moment où il est arrivé, ni même du temps entre le moment où il est arrivé et celui ou je me suis rendormie sous son bras. Mais je me souviens de l’odeur de bière qu’avait sa main, et bizarrement j’adore.