Il était visiblement très énervé aussi. Sauf que quand j’ai les nerfs, mecs dangereux ou pas en face de moi je braille :

« Putain mais c’est de la merde vos AG, on voit que dalle, vous dites n’importe quoi! On peut rien dire, rien faire, vous vous sentez intelligents avec vos barrages de chaises?! Regarde …REGARDE ! C’est le bordel total, aucun intérêt, pu la merde, vous avez rien à foutre de vos vies bande de naz, hein ! j’vous en foutrais des AG moi, abrutis, débiles ! »

Le mec a commencé à beugler sur moi à coup de postillons un truc enregistré dans son encéphale gauche lobotomisée par ces discours stériles à répétitions qu’il se coltine depuis un mois…à défaut d’un cours magistral quotidien…

Désespérée, pour ne pas en venir aux mains, et comme son visage se rapprochait du mien de manière critique, j’ai pivoté vers la porte. Mélène me tirait le bras, pour nous frayer un chemin. Je respirais comme un cheval enragé, à grands coup de poumons et de narines dilatées. Putain, il manquerait plus que je perde mon portable pour fêter une journée pareille. On a foncé vers la machine à café, histoire d’en rajouter une couche.

J’ai attrapé d’une main tremblante le gobelet bouillant qui me faisait plaisir comme jamais, je l’ai porté à ma bouche quand Godzilla est revenu à la charge – semblait-il – plus détendu.

« Franchement c’est pas comme ça que tu devrais le prendre… »

M’a-t-il relancé sur un ton repenti aux allures pédagogues, réfléchissant à une nouvelle approche problématique pour m’embrigader dans sa vision socio-politico-révolutionnaire de mouvement. Sauf qu’il n’était pas au courant que j’étais justement en socio. Alors la vision politico truc muche je la sentais bien aussi mais différemment.

Ravalant ma salive, j’ai avancé mon gobelet pour respirer un peu l’odeur vanille qui fumait et j’ai susurré aussi doucement que j’en étais capable.

« Comment sinon ? »

« C’est dans l’intérêt de tous ! Il faut agir!  »

Je le coupe

« L’intérêt de tous ? de t…t….t ?!! l’intérêt des profs, des chercheurs…des étudiants je veux bien le croire, d’accord, mais l’intérêt là, le mien tout de suite c’est de pouvoir accéder à ma fac, d’accord une grève sans moyens de pression ç'en est pas une, ok…faut agir oui, mais votre grève ne va nulle part coco, c’est inutile…Sarko va pas venir démissionner les mains jointes sur le palier de votre amphi…et la loi est passée…nan, ce qu’il va faire c’est venir déblayer vos chaises là, avec ses petits bras musclés, au mieux on va vous laisser faire, au pire on va vous balancer la blinde de CRS et bombe lacrymo, ça va être fendard !  »

Son regard s’est voilé…il m’a considéré d’un air dépité, merde, il devait vraiment y croire. Dans un dernier souffle d’espoir, il lève le menton et m’envoie un condescendant :

 « pfff, réfléchi un peu, on risque pas d’avancer avec des gens qui pensent comme toi ! »

Mouarf !!! Il s’était déjà barré. S’il était pas parti presque en courant je lui aurait volontiers retourné le compliment.

De toute façon, une fois replongé dans le bain des hystériques, il oubliera vite…